I. L'Histoire des sourds


    A.      Le rejet

    Les sourds-muets ont-ils une intelligence égale à celle des entendants ? La parole est-elle indispensable pour le langage intérieur ? Peut-on transmettre des idées abstraites à l’aide des seuls signes ? Ces questions, ces interrogations, étaient, durant la première partie de notre Histoire sans équivoque : une personne sourde était incapable de communiquer, et donc de penser. Jusqu’au XVIIIième siècle, les sourds ont été, dans la plupart des sociétés, mis à l’écart par des communautés que la différence dérangeait.

    1.      Antiquité
    Il reste très peu de traces sur la vie que menaient les sourds-muets à cette époque. Les seuls témoignages de la condition sociale des sourds dans la Grèce Antique qui nous subsistent nous viennent des deux très importants philosophes grecs : Platon, et Aristote. Selon Platon, le mot grec "logos" (langue en français), veut dire "parole et raison". Ainsi, quelqu’un qui ne parle pas ne peut pas raisonner. De même, Aristote soutenaient que les sourds étaient ‘‘irrémédiablement ignorants’’, qu'ils ne pouvaient pas être éduqués.

    En Europe, comme en Grèce, le né-sourd était rejeté, discrédité de la famille, voir même supprimé à sa naissance.

    2.      Moyen Âge
    À cette époque aussi, le sourd était isolé. Ainsi, le sourd-muet trouvait certes une place au sein de la hiérarchie sociale, mais cette dernière était très basse, et il faisait partie de ce que l’on appelait à l’époque les « idiots du village », les fous… Autrement dit, les handicapés mentaux.
    Le peu d’informations laissé par l’Histoire nous empêche de former plus de certitudes, seulement quelques hypothèses…

    En ce qui concerne leurs manières de communiquer entre eux, Saint Jérôme (IVème siècle), en fait une brève description, et note que les sourds « pouvaient apprendre l’évangile par les signes et utilisaient dans la conversation journalière des mouvements expressifs de tout leur corps ». De même Saint Augustin soutenait que « leurs gestes formaient les mots d’une langue ».



    B.      La Renaissance : un tournant

    Durant toute la période de la Renaissance, de nombreuses personnalités vont s’intéresser à la « question sourde ». Cette curiosité s’explique parfaitement avec les courants et les changements de pensées de l’époque, et la tendance à placer l’Homme au centre de l’intérêt.


    1.      Montaigne
    Montaigne, dans ses Essais, parle à quelques reprises des sourds. En voici un extrait :
    « Nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. J’en ai vus de si souples et formés à cela qu’à la vérité, il ne leur manque rien à la perfection de se savoir faire entendre .»
    (Livre II, chapitre XII)
    Ce faisant, Montaigne prouve qu’à cette époque, les sourds s’étaient déjà regroupés en communauté, et qu’ils réussissaient à dialoguer entre eux, par des signes.


    2.      Tentatives d’éducation : la communication par la parole
    Dans la première partie du XVIIIème, quelques prêtres (ces derniers étant chargés de l’instruction à l’époque) entrevoient une possibilité d’éducation chez les enfants sourds. Cependant, tous rejettent l’apprentissage du langage : le sourd n’étant pas muet, il faut les faire parler.

    1500 : Le moine espagnol Pedro de Ponce est le premier à avoir revendiqué la réussite de ses quelques tentatives d’éducation sur de jeunes sourds issus de la bourgeoisie.

    1620 : Le disciple de Ponce, Juan Pablo Bon et, publie « Simplification des lettres de l’alphabet et méthode de l’enseignement permettant aux sourds-muets. » Le principe est simple : un signe correspond à une lettre de l’alphabet. 






    1753 : J. R. Pereire.
    La photo ci-dessous illustre parfaitement la méthode utilisée par ce dernier, qui était précepteur, chargé de l’éducation d’enfants sourds issus de familles bourgeoises. L’enfant, en plaquant sa main contre la gorge du professeur, essayait de reproduire les vibrations ressenties.




    3.      L’émancipation des sourds

    Etienne de Fay, surnommé « le vieux sourd d’Amiens », était professeur, architecte et dessinateur. Parfaitement reconnu et intégré dans la société, ce dernier enseignait aux sourds une langue gestuelle.

    En 1779, le premier ouvrage écrit par un sourd paraît : « Observations d’un sourd-muet », écrit par un relieur, Pierre Desloges. Celui-ci confirme qu’une « langue de signes » s’est développée entre les signes, bien avant toutes les tentatives des entendants. Son livre donne de nombreuses indications sur la vie que menaient les sourds :
    « Il ne se passe aucun évènement à Paris, en France et dans les quatre parties du monde, qui ne fasse la matière de nos entretiens. Nous nous exprimons sur tous les sujets avec autant d’ordre, de précision et de célérité, que si nous jouissions de la faculté de parler et d’entendre. »

    4.      L'Abbé de l’Épée
    L’Abbé Charles Michel de l’Épée, s’interroge sur la façon dont on pourrait utiliser comme passerelle entre le monde sourd et le monde entendant les gestes naturels des sourds. Il reconnait que la réflexion intérieure est possible sans expression orale, et fait ainsi une grande découverte pour les entendants : les gestes peuvent exprimer la pensée humaine autant qu’une langue orale. En 1776, il publie donc un ouvrage, dans lequel il développe un système de gestes inspirés des gestes naturels, qu’il appelle ‘‘signes méthodiques’’. Ces derniers servent à l’apprentissage du français.
    Dans la citation ci-dessous, l'Abbé de l’Épée explique comment ‘‘signer’’ le mot inintelligibilité : « Je n’ai eu besoin que de cinq signes exécutés dans un instant comme vous venez de le voir. Le premier annonçait une action intérieure, le second représentait l’action d’une âme qui lit intérieurement, c’est à dire qui comprend ce qu’on lui propose, le troisième déclarait que cette disposition était possible. Cela ne donne-t-il pas le mot intelligible ? Mais pour un quatrième signe, en transformant cet adjectif en qualité abstraite, n’en résulte-t-il pas le mot intelligibilité ? Enfin, par un cinquième, en y ajoutant une négation, n’avons-nous pas le mot entier inintelligibilité ? »
    L’abbé de l’Épée fut le premier à enseigner aux sourds à partir de leurs propres gestes. Ce faisant, il a réussi à faire comprendre à la société l’idée d’égalité intelligente et humaine entre sourds et entendants. 


    C. Interdiction de la langue
    En 1880, la langue des signes disparait de l'enseignement, 3 raisons sont invoquées : la LSF (Langue des Signes Française) n'est pas une vraie langue, elle ne permet pas de parler à Dieu et elle empêche de respirer. Cette interdiction dure près de 100 ans. Malgré tout la LSF ne s'éteint pas, elle se transmet de génération en génération.
    En 1991, l'utilisation de la LSF est autorisée, et la loi de mars 2004 reconnait la LSF comme une langue à part entière.
    Conséquence de cette interdiction :
    Les gestes étaient dévalorisés, considérés comme une pratique ancienne, insuffisante et régressive empêchant d'apprendre la parole

    Les enfants avaient des idées fausses :
    - ils pensaient que s'ils arrivaient à parler, ils finiraient par devenir entendants
    - ils croyaient qu'ils allaient mourir à l'âge adulte
    Les enfants se sentaient honteux et coupable en classe. Cela pouvait entrainer des problèmes psychologiques.

    Aucun commentaire:

    Enregistrer un commentaire