A. Le monde sourd
« Être sourd n'est pas subir un handicap, C'est simplement appartenir à une autre culture. »
Yves Delaporte, ethnologue.
Dans les tentatives d’intégration qui ont été faites jusque ici, nous avons vu que les entendants ont avant tout cherché à faire parler et entendre les sourds. Oralisme*, implant, prothèses… Pour les sourds, cet état d’esprit « trahit une profonde méconnaissance du monde sourd ». Certains vont même jusqu’à y voir, à l’inverse de l’impression voulue, la volonté d’éradication d’un peuple et de ses spécificités. L’ethnologue, Yves Delaporte, cité ci-dessus, va même jusqu’à parler « d’ethnocide »…
Par rapport à la question sourde, il s’est formé deux points de vue extrêmement distincts :
Pour le monde entendant, être sourd est considéré avant tout comme un handicap physique, ainsi qu’une déviance* : l’audition représentant la norme sociale, ne pas entendre devient un facteur d’exclusion.
Cet état d’esprit aboutit la plupart du temps à une stigmatisation* qui va rejeter les sourds. De plus, la société entendante d’aujourd’hui considère qu’être sourd-muet est une caractéristique déficiente individuelle, et rejette la « théorie » d’une collectivité sourde, d’une ethnie.
Ce point de vue est aux antipodes de celui de certains sourds-muets. Pour ces derniers, être sourd, au lieu d’être un handicap, est une spécificité, qui implique certains codes, un langage propre, la Langue des Signes. Selon eux, être sourd est donc un facteur d’identification, de rapprochement au groupe, à la communauté sourde.
En partant de ces deux avis très différents, de ces deux visions du bonheur au sein d'un groupe et de la (d'une ?) société, on peut comprendre les motivations des entendants à intégrer les sourds, comme on comprend les raisons des sourds à ne pas toujours vouloir s'intégrer.
B. Des passerelles
Le lexique des signes est en perpétuel mouvement et s'enrichit encore aujourd'hui. En effet, au fur et à mesure que le monde des sourds découvre et accède à des milieux spécialisés (milieu étudiant ou professionnel), le besoin de créer de nouveaux signes se fait davantage sentir.
• des signes venus du mime : beaucoup de signes peuvent être faciles à retenir même pour un entendant car il font partie du mime pour des actions (manger, dormir, parler...), des objets (pomme de terre, poupée...), des lieux ou paysages (école, maison, montagne...), des animaux (vache, escargot, éléphant).
Ce sont ces signes culturels que sourds et entendants ont en commun dans leur imaginaire collectif qui sont la base de la communication entre eux ; ces signes créent souvent une complicité. Tout cela fait des échanges entre sourds et entendants un moment agréable, voire une découverte, pour les entendants.
• des signes arbitraires : l'alphabet dactylologique est un des meilleurs exemples de signes arbitraires (bien que certains signes aient des ressemblances de formes avec la graphie de la lettre) créés afin de faire lire les mots français aux sourds. Il permet aux sourds d'épeler des mots à des entendants qui ne connaissent pas le signe correspondant, mais le plus souvent c'est pour épeler leur nom ou celui d'une ville dont le signe n'est pas encore connu. Il s'agit là d'un pont non négligeable entre les deux langues.
• des signes influencés par la langue française : en côtoyant le monde des entendants la LSF a aussi intégré des signes directement en relation avec le français et souvent les premières lettres des mots sont associées à des mouvements plus ou moins arbitraires, par exemple le v de vert, vrai ou vacances, le r de rêve ou de raison, le s de sœur ou le f de frère...
• des signes sans cesse inventés : ceux par exemple pour nommer quelqu'un : c'est la première chose que font les sourds lorsqu'une personne nouvelle arrive et qu'elle n'a pas de signe, ils en trouvent un en fonction du physique ou du caractère de la personne...